10 juillet 2007

Des traducteurs et des hommes

Cet article s’adresse à tous ceux qui pensent que la profession de traducteur, en particulier de traducteur littéraire ou d’édition, est en danger. Oui, en danger car menacée par des traducteurs automatiques ou traducteurs en ligne que l’on trouve à foison sur Internet.

En général, ce sont les mêmes gens qui pensent qu’un traducteur traduit des mots ou qu’une personne bilingue peut très bien être un traducteur. Deux idées très partagées auxquelles je voudrais tordre le cou ici une bonne fois pour toutes.
Tout d’abord, un traducteur ne traduit pas des mots. Il fait passer d’une langue source (la langue de départ) à une langue cible ( la langue d’arrivée) des idées, des concepts véhiculés par des mots. Il y a ici une grosse nuance vous en conviendrez aisément. Le traducteur traduit en priorité des idées. Tout traducteur est d’abord un lecteur qui décode un texte avant de l’encoder dans la langue cible.

Pour se faire il existe de nombreuses stratégies mises à sa disposition, en voici les quelques unes :

- La compensation, qui permet de rendre un trait linguistique par un autre trait linguistique. Cette stratégie permet d’essayer de préserver un maximum la richesse du texte source.

- L’adaptation, qui permet de traduire ce qui n’est pas compréhensible immédiatement, par exemple, une référence culturelle très connue dans un pays doit être adaptée dans le texte cible par une autre référence culturelle de même valeur.

- L’étoffement, un procédé qui permet de traduire une expression de la langue source d’une façon plus complète dans la langue cible. On traduit en général un adverbe par un syntagme nominal ou verbal.

J’arrête ma liste ici car elle pourrait ennuyer les professionnels autant que les néophytes. Mais sachez qu’il existe une bonne vingtaine de stratégies de traduction comme l’enthropie, l’effacement, le calque, la mise en relief, l’hypotaxe etc.

Toutes ces stratégies sont donc là pour aider le traducteur dans sa tâche ardue. Et j’en viens à ma deuxième idée reçue. Une personne bilingue qui possède des connaissances culturelles dans les deux langues est certes avantagée si elle veut être traductrice. Mais cet avantage ne fait pas d’elle une traductrice. Elle peut comprendre ce qu’elle lit dans les deux langues sans difficulté mais peut-elle faire passer une idée d’une langue à l’autre ? C’est un exercice qui demande une certaine gymnastique mentale et de l’entraînement afin de savoir utiliser correctement les différentes stratégies de traduction.

Autant vous dire tout de suite que ce genre de gymnastique ne peut être fait que par un cerveau humain. Seul cet organe extraordinaire peut faire des associations d’idées, se souvenir d’un texte lu il y a des années, comprendre un sens caché ou encore déceler une ironie, un trait d’esprit ou un jeu de mot. Les traducteurs que vous trouvez sur Internet ne traduisent que des mots, pas des idées. Ce qui me rappelle un slogan d’une compagnie aérienne très connue, et dont je tairais le nom ici, qui a pour leitmotiv anglais « There’s no better way to fly ». J’ai un marque-page de cette compagnie, marque-page qui a dû être imprimé à des milliers ou peut-être même millions d’exemplaires (vu l’importance de la compagnie) sur lequel figure un astérisque nous invitant à lire la traduction française de ce slogan : « Il n’y pas plus façon de s’envoler ». Fin de la citation. C’est bien sûr écrit recto-verso, ce serait dommage de passer à côté ! Que s’est-il passé dans cette grande société pour laisser écrire ce non-sens total ? Cela nuit terriblement à l’image de la marque et leur crédibilité en prend un sacré coup par la même occasion.

Si vous n’êtes toujours pas convaincus, essayons de comprendre comment cette « traduction » a été « élaborée ». Faisons un test avec un traducteur en ligne. Demandons lui de traduire cette même phrase, qui avouons le, ne présente pas de difficulté particulière. Voilà ce que j’ai obtenu (je ne cite pas mes sources, pas la peine de faire de la pub, sachez qu’ils sont faciles à trouver et très bien référencés par le principal moteur de recherche américain, c’est clair ?) :

- « Il n'y a aucune meilleure façon de voler »

- « Il n'y a aucune meilleure manière de voler »

Cette dernière étant la plus trouvée. Elle semble faire l’unanimité de par sa perfection linguistique et son côté très français. Remarquez que les deux versions que j’ai trouvé sont nettement supérieures à la version choisie par l’entreprise de transport aérien.

Et oui, tout est affaire de goût, en bout de course, il y a toujours quelqu’un qui tranche, qui fait un choix, pour le meilleur et dans ce cas, pour le pire. Remarquez que je n’ai pas essayé de faire traduire une strophe d’un poème quelconque par un traducteur en ligne… Je vous laisse imaginer le résultat…

Voilà. Voilà pourquoi le métier de traducteur est une valeur sûre tant qu’il existera au moins deux langues différentes sur cette Terre. Voilà pourquoi un traducteur ne peut pas être remplacé par une machine. Enfin, voilà pourquoi n’importe qui ne peut pas s’improviser traducteur du jour au lendemain.

1 commentaire:

Tribune Libre a dit…

Merci David pour cette première contribution ! Une mise au point nécessaire et rassurante...